“Est-ce que j’ai le droit d’utiliser mes pouvoirs ?”, demanda Yuval.

Ajartiel dévisagea avec un mélange de méfiance et d’amusement le Sorcier en face de lui. Arrivé à la base depuis quelques mois, Yuval n’était cependant pas entièrement un novice, du haut de ses... soixante ans ? Ajartiel n’était pas sûr de son âge et n’avait pas demandé, parce que ce n’était pas tellement important, mais, de toute évidence, le Sorcier avait quand même profité de plusieurs décades pour apprendre à gérer sa télépathie, son bouclier magique et... son autre pouvoir. Pouvoir sur lequel Ajartiel aurait peut-être dû se renseigner avant d’accepter d’offrir au nouveau Catien un entraînement de combat.

“Est-ce qu’il faut que j'aie peur ?”, blagua l’Ange, pas réellement effrayé même s’il aurait peut-être dû. YOLT.

Selon ses dires, Yuval n’avait pas de mal avec ses capacités magiques, mais tout le concept de la CAT allait au-delà du simple développement personnel. L’idée était de former une milice, d’apprendre à tous à se défendre, au minimum. Luiza lui avait apparemment bien vendu le concept, parce que le Sorcier était enthousiaste à l’idée de joindre leurs rangs. Sauf qu’il ne partait pas loin de zéro, niveau combat. C’était donc principalement sur ça qu’il se concentrait, depuis son arrivée.

“Je ne vous ferai pas mal, promis.”, répondit le Sorcier en souriant.

Ajartiel aimait les entraînements de combat. Il n’allait pas dire non au pauvre homme, quand celui-ci vint lui demander des cours particuliers. Même que, apparemment, maintenant qu’il avait acquis certaines bases, on lui avait “chaudement recommandé de demander à Ajartiel pour plus”. Haha.

Ce matin-là, dans la salle de classe des Sorciers, ils commencèrent donc par réviser ce que Yuval avait appris dans les cours de combat de groupe auxquels il avait participé depuis sa capture. Des déviations simples, des prises chorégraphiées... Yuval était un bon élève et même s’il se montra rapidement fatigué, il ne demanda pas à prendre de pause. Ajartiel augmenta donc la complexité des exercices d’encore un cran, ajoutant des frappes et des prises multiples.

“Cette clef-là, on ne l’a pas vue...”, fit Yuval avec un grognement d’effort, coincé au sol par une prise au poignet d’Ajartiel.

“Eh ben c’est le bon moment pour apprendre. Instinctivement, qu’est-ce que tu penses que tu pourrais faire pour t’en tirer ?”

Une seconde, Ajartiel regardait l’autre homme tenter inutilement de se libérer par la force. La seconde suivante, le chef des Anges se retrouva en un clignement d’yeux dans une forêt.

“Hey, j’ai besoin de ton aide.”, fit une voix derrière lui.

Ajartiel se redressa et se retourna pour en voir le propriétaire, mais l’illusion s’envola aussitôt et il était de nouveau dans la salle de classe des Sorciers de la CAT.

“C’était qui ?”, demanda Yuval d’un ton de voix amusé en se relevant.

“C’était quoi ?”, répliqua Ajartiel, estomaqué.

“Vous m’avez dit d’utiliser mon instinct. Je me suis dit que d’utiliser mon pouvoir était donc accepté..? Et ça a fonctionné, au final...”

Le Sorcier avait l’air un peu moins à l’aise, maintenant que le Magyar le dévisageait comme s’il lui avait poussé une seconde tête. Avec une grimace, essoufflé, il essuya du revers de la main la sueur sur son front et commença à expliquer :

“En touchant une personne, je peux la projeter dans un souvenir. Ce que vous avez vu n’était pas vraiment là. C’était simplement dans votre tête. Et la mienne, par association. C’est un souvenir que vous avez.”

“... Quoi ?”, répéta stupidement Ajartiel.

Le Hongrois n’eut toutefois pas la possibilité d’assimiler davantage l’information. Soudainement, Yuval tituba et Ajartiel l'agrippa sans réfléchir.

“J’ai...”, fit plaintivement le Sorcier, avant de terminer sa phrase par un gémissement. Il referma sa poigne sur le poignet de l’Ange et s’écroula en l’entraînant au sol avec lui.

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Ajartia n’avait aucune idée d’où il était et de comment il y était arrivé lorsqu’il ouvrit les yeux. Il était affalé sur le corps livide et couvert de sueur d’un inconnu. Ugh... le mec avait l’air mort. Dégueux.

Se mettant debout, il s’éloigna du cadavre en jetant un regard aux alentours. Il n’avait définitivement aucune fichue idée d’où il pouvait bien être... Dans quel pétrin est-ce qu’il s’était fourré, cette fois ? Est-ce qu’il était en prison ? Il n’y avait pas de fenêtres en tout cas. Et les murs, qui avaient l’air faits de métal, étaient vides de toute décoration. Par contre, c’était top niveau propreté, pas tellement le genre d’un cachot.

Le Magyar tourna brusquement la tête en attendant une porte s’ouvrir.

“Je n’ai rien fait. C’est pas moi !”, déclara-t-il aux deux femmes qui entrèrent. En tout cas, il aurait pu tomber sur pires geôliers. Drôle d’uniforme, au passage.

Pourquoi est-ce qu’il n’avait aucun souvenir d’avoir été jeté au trou ? Hey, il n’avait même pas l’impression d’avoir une gueule de bois comme excuse, en plus. C’était bizarre.

“Ajartiel ?”, demanda l’une des femmes. Ajartia aurait pu s’interroger (entre autres choses, dans la longue liste de ses incompréhensions actuelles) sur cette prononciation étrange de son nom, ou le fait qu’elle savait son nom alors qu’il n’avait aucune idée de qui elle était (quoique s’il était son prisonnier, ça faisait du sens qu’elle sache), ou le fait qu’elle avait l’air relativement amicale (depuis quand les forces de l’ordre étaient sympathiques ?), mais il resta plutôt dubitatif devant la phrase qu’elle lui sortit ensuite, dans il-ne-savait-pas-quelle langue.

“We heard some noise. Is everything alright ?”

Elle porta son regard sur le macchabée, visiblement inquiète.

“Is he hurt ?”

“... Quoi ?”, répondit prudemment Ajartia, son regard passant de l’une à l’autre des trois personnes présentes (monsieur décédé inclus).

Les deux femmes échangèrent rapidement quelques mots et celle qui ne lui avait pas parlé jusque-là disparut prestement par où elle était arrivée, tandis que l’autre s’approcha de l’homme effondré.

“Oh fu- He’s not breathing ! What happened ?”

Se détournant de peu importe ce qu’elle était en train de faire avec le corps, Ajartia prit mine de rien la direction de la sortie, vu qu’on n’avait pas l’air plus que ça de vouloir le retenir de force. Et puis, triste pour le mec, mais hey. La vie c’est la vie et il ne le connaissait pas.

Il ne s’attendait certainement pas à ce que, de l’autre côté de la porte, se trouve une salle de la taille d’une église, pleine de monde. Surpris, il recula instinctivement, retournant dans la pièce qui le gardait à l'abri des regards, pour repenser sa stratégie.

Peut-être qu’il pouvait s’en tirer s’il courait assez vite ? Ou peut-être qu’il y avait une autre porte...

“Ajartiel ! What are you doing ? I’ve already called an emergency team. Just help me with CPR.”

Il n’y avait malheureusement pas d’autre porte dans la pièce et, comme précédemment noté, pas de fenêtre. Ce serait donc un sprint. C’était la conclusion à laquelle Ajartia arrivait lorsqu’un homme traversa le plafond pour atterrir devant lui. Littéralement. Comme un fantôme. Ce qui était à peine plus ou moins plausible que lorsque deux petites femmes, avec des ailes, passèrent la porte en portant des sacs.

Ok. Ajartia n’était pas du genre à paniquer. Mais.

“What happened, Ajartiel ?”

“Je vous jure que je ne sais rien. Désolé pour votre ami, là, mais c’est la première fois que je le vois.”, plaida-t-il à l’une des femmes. Qui avait des ailes. Ça valait la peine de le répéter.

“What is he saying ?”

“I don’t know.”

“Are you hurt too ?”

La femme ailée la plus proche étira un bras pour le toucher. Ajartia l’évita, se détournant dans l’optique de piquer une course en direction de la sortie. Malheureusement, l’homme-fantôme se mit aussitôt en travers du chemin et il était, finalement, complètement tangible. Ce qui ne faisait aucun foutu sens, mais tant pis pour lui. Ajartia lui flaqua un coup de poing dans le ventre.

L’homme grogna mais parvint quand même à l'agripper en retour et à le plaquer contre le mur.

“Stop !”

“Sedate him.”

“What ?”

“Just...”