[HS: Eh oui, enfin. Tout peut arriver.]


Louna cherchait Ajartiel. Enfin, « cherchait »… Plus exactement, elle se baladait dans la base en espérant tomber sur le Chef des Anges. Elle avait déjà testé son bureau, mais n’avait pas été surprise de faire chou blanc. Ce n’était pas vraiment un secret qu’Ajartiel n’y était jamais. Ou presque jamais. Enfin, là, en tout cas, il n’y était pas.

Elle marchait donc lentement, de couloirs en couloirs, scannant rapidement du regard chaque de groupe en tentant d’apercevoir son chef. Elle pensait que ça ne devrait pas être trop difficile de le repérer, vu l’exubérance dont il faisait en général preuve, mais pour le moment, elle n’avait rien vu.

C’était peut-être aussi dû à la lenteur à laquelle elle avançait, si elle était honnête avec elle-même. En vérité, elle ne savait pas vraiment ce qu’elle voulait lui dire, ni comment. Mais c’était important et elle ne voyait pas qui d’autre pourrait l’aider. Elle avait discuté avec ses professeurs, bien sûr, mais ils n’avaient pas réussi à la convaincre, dans un sens ou dans l’autre.

Le premier à lui en avoir parlé, c’était l’ange en charge des cours de combat où elle allait. Il lui avait lancé, en fin de cours, alors qu’elle partait, en passant, presque comme une plaisanterie : « Si tu continues comme ça, Louna, tu vas pouvoir participer aux missions en extérieur ! »

Sans doute que quelqu’un d’autre que Louna aurait rit puis oublié, mais elle avait passé trop de temps à se poser des questions sur sa place à la CAT et dans le monde en général pour ne pas s’arrêter sur ces mots-là. Elle avait tourné et retourné les mots dans sa tête avant de prendre enfin son courage à deux mains et d’aller oser demander à son professeur si c’était vraiment une option. Il l’avait considéré un moment, sérieusement, silencieusement, puis avait confirmé que oui, c’était possible. Parfaitement possible. Il l’avait même encouragé à se poser la question sérieusement, à envisager de passer les examens nécessaires. Il semblait penser que non seulement c’était une possibilité, mais que cela serait une bonne chose, pour la CAT comme pour elle.

Et donc, Louna avait hésité. Et douté. Et avait retourné la chose en tous sens. Et comme elle ne savait pas trop quoi faire, elle avait fini par en parler aux autres professeurs, ceux des autres cours. Elle s’était retrouvée avec une pile d’avis divergents, sans trop savoir quoi faire de ce bazar. Entre ceux qui lui disaient que l’examen ne lui poserait aucun problème et qu’elle devrait tenter et ceux qui lui disaient que de toute façon elle n’avait aucun intérêt à le passer. Elle n’allait quand même pas participer à des vraies missions en extérieur, si ? Face à la WEF ?

Le pire avait été certains de ces « camarades », et elle serra les poings en y pensant. Ils l’avaient vraiment traité comme si elle était une pauvre petite chose sans défense. Et, ok, elle comprenait pourquoi. Elle n’était pas bien grande, et pas bien forte. Et elle ne savait pas tenir une conversation sans rougir, alors oui, elle n'était pas vraiment intimidante, c’était sûr. Mais bon. Qui avait tenu tête à des soldats en 45 ? Pas eux, c’était clair. Elle les connaissait assez pour savoir que c’étaient des petits pourris gâtés.  Secouant la tête, elle poussa une porte et jeta un coup d’œil. Nope, toujours pas Ajartiel.

Bref. Elle savait, consciemment, qu’elle aurait dû déjà se demander si elle en avait envie, de ces fameuses missions. Et que c’était sa décision et celle de personne d’autre. Sauf que… Sauf qu’elle avait déjà en tête deux milles cinq cents scénarios où ça se passait mal. Elle n’avait pas suffisamment confiance en elle pour être capable de juger froidement de son utilité (ou inutilité) pour la CAT.

Mais Ajartiel avait déjà dû recruter pas mal de monde, non ? Et il faisait passer le test, aussi, non ? Quel test, de quoi et comment, elle n’en savait rien, mais il devait pouvoir lui expliquer tout ça, non ? Enfin… Si elle le trouvait… Elle poussa la porte vers le faux extérieur et soupira. Heureusement que c’était son jour de repos aujourd’hui ! Quoique si ça continuait comme ça, elle aurait peut-être besoin plutôt d’une semaine que d’un jour…

Et puis bien sûr, elle voulait en savoir plus sur le monde de l’extérieur. Qu’attendrait-on d’elle exactement ? Est-ce qu’elle pourrait vraiment aller dans le vrai extérieur ? Pendant combien de temps ? Elle pensait qu’Ajartiel pourrait aussi lui expliquer tout ça. Il devait avoir l’habitude des missions, y compris celle qui le laissait couvert de boue et de feuilles mortes, si elle avait bonne mémoire.

Bref, c’était ça, le plan. Poser plein de questions à son chef. Sauf que elle ne le voyait toujours pas. Elle allait abandonner, quand elle aperçut des cheveux blonds du coin de l’œil. Et oui, Ajartiel était en train de discuter avec des gens ! Elle l’avait trouvé ! Bon, du coup, elle avait pas du tout préparé ces questions et elle savait pas trop par où elle allait commencer… Elle n’aimait pas trop improviser… Hésitante, elle s'arrêta. Elle n'allait pas l'interrompre comme ça, et elle ne se voyait pas tourner autour du groupe en attendant la fin de la discussion. Non, ça, ça aurait été trop bizarre. Mais du coup, quoi?

Elle scrutait ses pieds comme si ils allaient lui répondre et elle faillit louper le départ des gens à qui parlait Ajartiel. Elle courut vers lui immédiatement et ralentit lorsqu’elle fut à sa hauteur :
« Ajartiel ! appela-t-elle, essoufflée. Désolée de te déranger, continua-t-elle dès qu’elle eut repris son souffle. Euh, en fait, je te cherchais… Si tu avais une minute… C’est que j’ai quelques questions et je me disais que peut-être tu pourrais me répondre, mais je ne sais pas si j’ai raison, et je voudrais pas déranger mais je sais pas trop si…. »

Elle s’interrompit soudainement, se rendant compte qu’elle lui avait apporté approximativement zéro information. Elle rougit un peu, baissa les yeux, reprit son souffle et releva les yeux :
« Désolée. Je suis pas claire. Est-ce que, par hasard, tu aurais une minute ou deux pour répondre à quelques questions que j’ai à propos… Des cours, je suppose. Et de ce qui vient après. Je sais que je suis à la CAT depuis longtemps et que je devrais savoir tout ça mais…. (Elle haussa les épaules, son regard retombant sur un point fixe dans l’herbe). Si c’est un problème, je peux revenir plus tard. Ou allez voir quelqu’un d’autre…. »

« Le problème – enfin l’un des problèmes plus réalistement – c’est qu’il arrive pas à décrocher de son ex. Enfin je crois. »

« Ça semble logique. Il hésiterait pas sinon, non ? Ajartiel ? »

« Euh... », fut le seul début de réponse que l’interpellé parvint à formuler avant que Béthanie ne reprenne la parole, ajoutant moult exemples (par-dessus tous ceux qu’elle avait déjà donnés) décrivant l’incapacité de son copain Josh à s’engager, sous les approbations et les encouragements de Judith.

Le Chef des Anges s’était bien malgré lui retrouvé mêlé à cette conversation de filles (et tant pis pour la misogynie de cette pensée, les choses étaient ce qu’elles étaient !) dont il n’arrivait pas à se sortir. Les deux Elfes l’avaient interpelé pour avoir son avis (dont elles n’avaient clairement rien à faire finalement vu qu’elles ne le laissaient même pas parler !) et voilà, trois éternités plus tard, où il en était. Au même foutu point que trois éternités plus tôt ! Non, mais, clairement, elle avait qu’à le laisser tomber ce Josh s’il était si nul que... URGH ! Elles avaient réussit à entrer dans sa tête. Voilà qu’il songeait réellement aux tenants de ce dilemme qui n’en était pas un !

« Tiens, l’autre jour, il a refusé de me voir soit disant parce qu’on s’était déjà vu la veille ! Non, mais, franchement. Je veux bien, il veut voir ses potes, mais moi, hein ? Je suis le plan B ? »

Peut-être que s’il feignait la crise cardiaque... mais c’était pas trop crédible...

« Ouais, vraiment. Dis Ajartiel, ils le font exprès les mecs, d’être aussi insensibles ? »

Il aurait bien aimé être un Sorcier, pour pouvoir demander à quelqu’un de venir l’aider...

« Peut-être qu’il est encore trop jeune. Considérant qu’on va vivre un truc comme 1000 ans, je veux dire. Tu crois qu’il faudrait que j’attendes quelques années ? Mais je fais quoi pendant ce temps ? »

Il avait essayé de s’éclipser discrètement quelques fois, mais les deux filles l’avaient suivi. Elles n’arrêtaient pas de le regarder, comme si elles attendaient réellement de connaître son opinion... sans jamais pourtant le laisser dire quoique ce soit ! Dès qu’il ouvrait la bouche, elles reprenaient la parole. C’était à en devenir dingue !

L’Hongrois fut donc profondément soulagé lorsqu’il aperçu Louna. La jeune Ange allait le sauver, n’est-ce pas ? Non ? Pourquoi elle restait là, en retrait, sans rien dire ?

« Peut-être que si je lui donne un ultimatum ? », songea Béthanie.

Lounaaaa ! Pitiéééé !

« Peut-être que ça marchera pas, mais c’est sûr qu’au moins tu serais fixée. », approuva Judith.

« Excellente idée !! », s’exclama brusquement le Magyar, suffisamment fort pour couvrir les piaillement des deux Elfes, qui le regardèrent comme s’il venait de lui pousser une deuxième tête. Okay, l’hystérie avait peut-être marqué son ton de voix un peu plus que prévu.

« Uh. Ouais, en tout cas, il faut qu’on y aille. Merci Ajartiel pour ton écoute ! Je te dirai comment ça évolue cette histoire. »

Ajartiel parvint à leur offrir un grand sourire qui masquait à la perfection son envie d’aller se balancer devant un train en marche à l’idée d’avoir à reprendre cette conversation un jour (Le prochain Oscars du meilleur acteur était définitivement pour lui.) et les filles s’éloignèrent. ENFIN LIBRE !

Dès que les deux Elfes eurent le dos tourné, il s’étira, relâchant la pression qu’il avait accumulé, et entrepris de s’en aller... ailleurs. N’importe où. Loin.

« Ajartiel ! »

Il tressaillit en entendant son nom, soudainement craintif.

Heureusement, ce n’était que Louna... qui se mit à lui déblatérer une introduction longue comme le bras sur la raison de sa présence. Merde. Ils avaient mangé quoi les gens, aujourd’hui, pour parler autant ?

Néanmoins, la jeune femme, contrairement à certaines personnes, semblait sérieusement vouloir profiter de sa grande sagesse, et elle s’interrompit éventuellement après lui avoir demandé s’il avait du temps à lui accorder. Allait-il le regretter ? Elle n’avait pas l’air de vouloir lui parler d’amourette, c’était déjà ça...

« Ah ! Non. Oui. Bien sûr que j’ai du temps. Sauf... T’es pas amoureuse, hein ? »