Elle avait répondu avec un haussement de sourcil à la proposition. Elle ? Un travail d’aide à la bibliothèque ? Ce n’était pas bien prestigieux comme occupation. Néanmoins, la bibliothécaire de service avait bien raison sur un point : il s’agissait déjà d’un rôle qui collait à la peau de Vivian. À quelques reprises, elle avait été épiée à donner ses recommandations littéraires à d’autres occupants de la base à la recherche d’un livre dans les nombreux rayons de la bibliothèque ou avait réorienté leurs quêtes d’un ouvrage particulier. Elle allait seulement devoir mettre ces actions en priorité lors des heures où elle serait indiquée sur l’horaire, en plus d’autres petites tâches connexes, comme d’assurer l’ordre et le rangement de la bibliothèque.
De plus, ce nouvel emploi avait pour mérite d’occuper la vampire quelques heures par semaine. Bien que son cercle de connaissances s’était légèrement agrandi dans les dernières années comparativement à son arrivée, Vivian restait tout de même majoritairement solitaire. Il y avait toujours Charles qu’elle voyait aussi fréquemment que possible, néanmoins la grande dame était bien consciente que son agenda en tant que chef était particulièrement chargé.
L’Irlandaise se considérait chanceuse d’avoir un tel ami comme Anderson, et dans ses élans d’égo, elle le savait en retour très fortuné d’avoir Vivian. Néanmoins, il n'en était pas là une raison valable d’abuser du temps de l’un et de l’autre, tentait de se résonner la vampire alors qu’elle refusait de s’avouer à elle-même que les quelques fois où le chef s’absentait hors de la base, sa présence réconfortante manquait à son quotidien.
Si elle avait jusqu’à présent détenu une réputation peu réjouissante auprès des autres Catiens, Vivian brillait dans son rôle d’aide à la bibliothèque. Sa grande connaissance du système de classification décimale de Dewey lui permettait de naviguer les rayons et les ouvrages avec une aisance qui relevait presque d’une seconde nature.
Les parents de jeunes catiens, nerveux de voir leurs rejetons contraints de se tourner vers la grande dame connue pour son snobisme et son détachement des autres, regardaient le duo improbable que leur progéniture et la vampire formaient s’engouffrer dans les murs de livres, à la recherche de toutes informations sur la nouvelle obsession du moment de l’enfant. À chaque coup, c’était un môme les yeux brillants et les bras chargés de livres qui émergeait, faisant état de la connaissance encyclopédique de l’irlandais ainsi que de ses attentions toutes particulières.
Une fillette elfique reconnaissante, avait même fait un dessin pour Vivian et était venue l’apporter pendant ses heures de travail. Quelques lignes rudimentaires, supposément la décrivant avec l’enfant se tenant par la main dans le sas extérieur. Pour l’elfe, ce n’était qu’un simple dessin de deux amies. Pour Vivian, une preuve touchante qu’elle n’était pas aussi endurcie qu’elle le croyait.
Lors de ses journées à la bibliothèque, c’était en apparence une tout autre Vivian qui s’y présentait. Elle abandonnait les artifices superficiels au profit d’un certain confort. Délaissant le maquillage plus lourd, quelques pâles tâches de rousseurs, vestige de ses deux décennies en tant qu’humaine, étaient visibles sur ses pommettes d’une pâleur cadavérique. Ses cheveux de jais, qu’elle n’avait toujours pas osé couper depuis son arrivée à la base, faisaient maintenant une très longue natte qu’elle épinglait en un chic chignon à la base de sa tête, laissant sa nuque dénudée.
Émilienne lui avait déniché une paire de pantalons à taille haute et à jambe très large de couleur Bourgogne. La vampire avait commenté qu’une amie actrice, Lauren Bacall, en avait porté des similaires dans les années 40. La référence avait semblé passer au-dessus de la tête de la Fée, mais l’Irlandaise accepta amicalement le vêtement. Les pantalons, étant toujours une pièce quelque peu étrangère à la grande dame, elle devait avouer que, dans le contexte du travail à accomplir, ceux-ci étaient bien plus pratiques et évitaient les faux pas vestimentaires. Bien sûr, Vivian étant tout de même une grande appréciatrice des apparats les plus élégants, elle agençait le simple pantalon de chiques chemisiers blancs à manches courtes et chaussait des mules serties de complexes broderies dorées.
Cet après-midi, lorsque Vivian se présenta à son poste, elle eut un sourire poli à l’attention de ses collègues ainsi qu’un « bonjour ». La vampire et ses équipiers n’étaient que cela, des équipiers. Elle ne voyait pas l’intérêt de pousser la conversation plus loin. De toutes façons, elle courrait le risque d’être déçue par leur manque de conversation intéressante ou tout simplement par leur bêtise. Elle était dans un bon état d’esprit dernièrement et valorisait de plus en plus sa participation à la vie commune de la base. Ce n’était pas le temps de gâcher cela.
L’Irlandaise s’approcha d’un chariot de métal situé derrière le comptoir des emprunts. Elle replaça quelques livres, s’assurant que le dos du livre sur lequel étaient collés les codes indications du code Dewey faisait face à elle et suivait un ordre logique des rayons à parcourir. Sans plus de révérence, Vivian prit le chariot et s’enfonça dans les rayons de la bibliothèque.