(Suite de: Une réunion interrompue)

Léanne fut la première à rentrer dans la bibliothèque. Et ce qu’elle y vit la fit froncer le nez. Ouf c’était très fâcheux… La pièce aux nombreux savoirs était en piètre état. Ça allait prendre des jours à ranger, se dit la chef des Fées, tout de même contente que personne ne soit blessé.

***

Avant qu’elle, son homologue vampirique et la nouvelle recrue, Vivian, ne se dirige vers la bibliothèque, celle-ci leur avait expliqué en détail la situation. M. Anderson avait bien résumé, selon Léanne en disant : « S’il n’y a personne de blessé, il n’y a pas lieu de vous inquiéter. »

En effet, aussi fâcheux qu’était la perte de précieux ouvrages, les livres se réparaient et se remplaçaient bien plus facilement que les gens. La Fée avait donc acquiescé les paroles de son collègue.

***

Dans la bibliothèque, le spectacle était impressionnant, c’était le moins qu’on puisse dire. De nombreuses étagères étaient tombées les uns par-dessus les autres et il y avait des montagnes de livres. Plusieurs pages avaient été déchirés lors de l’effondrement des étagères et se trouvaient maintenant au travers de la pagaille.

Léanne, dans un geste automatique, releva ses cheveux, qui étaient tressés en de nombreuses petites tresses, et les attacha en un gros chignon sur le dessus de sa tête à l’aide d’une cordelette de cuir. Elle mit ensuite ses mains sur ses hanches et se tourna, décidée, vers les deux vampires. Lilou en profita pour aller s’installer confortablement dans le nid que formait les cheveux de sa Fée. Il avait fini par se calmer après que Vivian avait confirmé que le sang qu’elle avait eut sur les lèvres n’était pas celui de ses victimes. Pas qu’il ne lui faisait plus confiance, mais le regard que Léanne lui avait lancé lui avait fait craindre d’avantage les répercussions que la Fée lui donnerait s’il ne se taisait pas.


« Je vais apporter la nouvelle à Gustave et voir avec lui à ce que les deux responsables viennent aider à ranger les dommages qu’ils ont causés. Vivian, je vais avoir besoin que tu me racontes avec le plus de détails ce qui s’est passé et que tu me décrives les coupables. » dit-elle d’une voix assurée.

La chef des Fées regretta de ne pas avoir quelque chose pour prendre des notes lorsque la vampire se mit à décrire la situation. Elle allait devoir essayer de se remémorer le plus de détails possible. Peut-être que Lilou pourrait l’aider à remplir les trous… s’il ne dormait pas dans ses cheveux…

Elle fut surprise d’apprendre que Vivian s’était interposée. Certes, elle avait, bien sûr, une force extraordinaire, mais elle semblait être le genre de vampire qui préférait ne pas l’utiliser. Probablement parce que ça ne faisait pas assez précieux… Urg. Mais elle avait bien dit en chemin vers la bibliothèque qu’elle avait perdue de sa délicatesse habituelle envers les deux Elfes. Léanne se retient de dire à Vivian que ce n’était pas son rôle de séparer des Catiens délinquants et que son intervention aurait pu blesser les deux Elfes. Mais ce n’était pas la place ni le temps. Elle laisserait cette tâche à M. Anderson.

À la place, elle se concentra sur la description que la Vampire faisait des deux malfaiteurs en essayant de se remémorer si elle connaissait ces Elfes. Il n’y avait pas beaucoup de furets comme totems. Pour ce qui était de la jeunesse des malfrats, elle ne savait pas si elle pouvait se fier sur les dires de Vivian. Les humains (et ex-humains) n’étaient pas très bons pour déterminer l’âge des Elfes et des Fées. En fait, même Léanne n’était pas très bonne pour estimer l’âge des Elfes, puisqu’ils ne vieillissaient pas de la même manière que les Fées. De plus, cela faisait très longtemps que la vampire avait été… jeune, du moins, enfant ou adolescente. Savait-elle vraiment encore ce que c’était, pour un être mortel, d’être jeune? La Fée garda tout de même en considération le commentaire.

« Merci pour ton aide. Je vais essayer de trouver qui sont les coupables. » fit-elle avec un petit sourire à la vampire, elle ne voulait pas que Vivian remarque qu’elle la jugeait injustement mentalement

La chef se détourna pour regarder à nouveau les dégâts et puis M. Anderson lorsqu’un fracas la fit sursauter. Elle se retourna pour voir Vivian, étendue au sol. Elle s’était, vraisemblablement, accotée sur le chariot qui s’éloignait encore doucement derrière elle et était tombée. L’Afro-Américaine eut un petit sourire en coin qu’elle réprima rapidement, la situation était déjà assez honteuse pour la nouvelle recrue, elle n’allait pas l’empirer en riant d’elle. Mais elle ne pouvait le nier, c’était assez cocasse de voir la vampire au sol ainsi…

Voyant que M. Anderson aidait la pauvre à se relever, Léanne s’approcha pour aller voir les dégâts et s’éviter de sourire à l’expression de découragement de Vivian. Elle remarqua quelques curieux et soupira. Où était le bibliothécaire lorsqu’on avait besoin de lui?

Alors qu’elle observait les livres éparpillés, un plan se formait dans sa tête. Elle retourna près de son collègue vampirique et de Vivian, de nouveau debout, pour le leur exposer.

« Je crois qu’il serait plus judicieux d’évacuer la bibliothèque pour l’instant. Si cela vous va, je vous laisserais le soin de trouver le ou la bibliothécaire de service. Vous lui demanderais de faire venir le responsable de la bibliothèque pour qu’il puisse nous dire comment s’organiser pour tout remettre en place. De mon côté, j’irais voir Gustave et en chemin, je vous enverrais des gens de l’entretien pour vous aider à ranger. Oh! Quoique, Vivian, tu n’as pas à être impliquée si tu ne veux pas, ce n’est pas de ta responsabilité. » dit Léanne qui s’était un peu laissée emportée dans son plan pour se rendre compte que Vivian était une nouvelle recrue et n’avait donc aucune obligation de rester et d’aider.

Elle se redressa bien droite et fit un sourire confiant.

« C’est bon pour t...vous? » fit-elle, cette fois en s’adressant qu’à M. Anderson.

Vivian récolta les morceaux de sa fierté brisée, les emmurant derrière une expression sévère, mais accepta la main que monsieur Anderson lui tendait. Elle y glissa ses doigts et le chef des Vampires l’aida à se remettre debout tout en soutenant son regard. Il n’était pas certain de ce qu’il était supposé lire dans les yeux bleu clair de son élève, qui avait probablement appris à masquer ses pensées depuis bien longtemps. Il aurait aimé y trouver de la confiance, probablement. Il était peut-être encore trop tôt...

Dès qu’elle fut debout, Vivian lâcha sa main et entreprit sèchement de remettre de l’ordre dans ses vêtements (et possiblement dans son orgueil). Il ne comprit pas ce qu’elle marmonna dans une autre langue que l’anglais, mais supposa que c’était pour elle-même et non pour lui. Vivian n’était assurément pas une femme gênée de se faire entendre, lorsque tel était son but.

« On pourrait croire qu’on nous apprend les principes de l’utilisation des roues à l’école d’ingénierie de Yale mais j’ai dû être inattentive lors de ce cours. », remarqua ensuite la vampire, surprenant son chef. Était-ce de l’humour ? De prime abord, il ne l’aurait pas cru capable d’autodérision.

Un sourire au coin des lèvres en réponse à celui de Vivian, monsieur Anderson inclina légèrement la tête pour signifier que ce n’était rien lorsque la vampire le remercia.

« Je crois qu’il serait plus judicieux d’évacuer la bibliothèque pour l’instant. », annonça alors Léanne, revenue de son inspection. Elle se lança ensuite dans une distribution de tâches dans un élan tout à fait digne d’elle, qu’elle termina en lui demandant s’il était d’accord. Le chef des vampires n’eut cependant pas le temps de répondre avant que Vivian n’intervienne.

« J’ose croire que je suis déjà assez impliquer dans la situation. Il me fera plaisir de vous assistez dans ces tâches. Par ailleurs, en tant qu’utilisatrice de la bibliothèque, j’imagine que tous ont un rôle à jouer dans le maintien de sa qualité. »

Elle se proposa ensuite pour aller chercher le bibliothécaire. Monsieur Anderson ne fut pas immédiatement convaincu. Ne s’était-elle pas, justement, suffisamment impliquée comme ça ? D’un autre côté, il avait envi de croire qu’elle offrait son aide en toute bienfaisance.

« Votre plan me va, Léanne. Toutefois, j’aurais tendance à croire que le bibliothécaire s’est lui-même mis à la recherche de Gustave et que vous risquez de trouver l’un en trouvant l’autre. », réfléchit le chef des vampires.

« À moins que vous ne sachiez où il se trouve ? », demanda-t-il en se tournant vers Vivian.

« Sinon, je proposerais d’aller voir Joëlann pour tirer profit de la télépathie. », continua-t-il, son regard alternant entre les deux femmes. « Il n’est pas normal qu’il ait disparu. »

« J’ose croire que je suis déjà assez impliqué dans la situation. Il me ferra plaisir de vous assister dans ces tâches. »  fit Vivian en fixant Léanne directement dans les yeux.

La Fée croisa les bras en soutenant son regard. Elle se posa au sol, ses ailes se replièrent contre son dos, et bien qu’elle faisait 2 têtes de moins que Vivian, il était évident que cela ne la dérangeait pas. D’où venait cette soudaine animosité chez la Vampire? Léanne haussa les épaules. Elle n’avait pas voulu dire à Vivian qu’elle était de trop. Elle n’avait voulu que s’assurer qu’elle ne se sente pas obligée de rester si elle avait d’autres choses à faire. La vampire pouvait rester et aider si elle en avait envie.

Lilou, de son perchoir dans les cheveux de sa Fée, lançait des regards noirs à la vampire. Il n'aimait pas l'attitude de cette vampire. Mais il y avait peu de vampire qu'il appréciait de toute façon.

Vivian proposa d’aller chercher le bibliothécaire, ce qui ne faisait ni chaud, ni froid à la chef. Cela permettrait à M. Anderson de procéder à l’évacuation des lieux. Celui-ci leur fit part de ses inquiétudes.

« Toutefois, j’aurais tendance à croire que le bibliothécaire s’est lui-même mis à la recherche de Gustave et que vous risquez de trouver l’un en trouvant l’autre. »

Il demanda ensuite à Vivian si elle savait où le bibliothécaire était allé, mais Léanne en doutait, elle leur en aurait fait part si ça avait été le cas, non? La Fée décroisa les bras en reprenant une position plus décontractée, alors que l’attention de la vampire était sur ses cheveux qu’elle tressait. L’Afro-Américaine tourna son regard vers son collègue.

« S’il est avec Gustave, tant mieux alors. Je vous l’enverrais lorsque je le trouverais. »

Pour ce qui était de Joëlann…

« En évacuant la bibliothèque, vous demanderez à un Sorcier de lui transmettre le message que nous sommes à la recherche du bibliothécaire. » ajouta-t-elle.

Pas besoin d’impliquer tous les chefs non plus… (Ajartiel allait encore se plaindre qu’il avait été mis de côté alors qu’il aurait râlé s’ils lui avait demandé de l’aide). Léanne se disait qu’ils pourraient probablement s’en sortir sans la chef des Sorciers, mais si M. Anderson y tenait, elle n’avait pas d’objection.

« Je vous fais confiance. De mon côté, je vais aller immédiatement à la forêt des Elfes. Je vais revenir ici une fois ma discussion avec Gustave terminée. À tout à l’heure. » fit-elle avec un bref sourire et un hochement de tête pour les saluer.

Lilou s’envola de ses cheveux et elle le suivit, tous deux sortirent de la pièce pour aller rejoindre les escaliers.

Léanne, comme toujours d’une redoutable efficacité, n’eut pas besoin de considérer longuement les éléments soulevés par monsieur Anderson pour les imbriquer dans son plan, autrement parfait. Parvenu à un accord, qui fut silencieusement signé d’un hochement de tête échangé entre les deux chefs, Léanne ne s’attarda pas plus longtemps et Lilou et elle se mirent en quête de Gustave. Avec un peu de chance, à eux deux, ils parviendraient à mettre la main sur tout le monde : Gustave, le bibliothécaire, et les deux elfes responsables de ce chaos.

Le chef des vampires demeurait incertain de la place à donner à Vivian dans leur intervention. Effectivement, tel que mentionner par Léanne, pour rejoindre Joëlann (ou n’importe quel autre sorcier sachant quel bibliothécaire contacter), le mieux était de passer par un autre sorcier. Nul doute que monsieur Anderson serait en mesure d’en trouver un parmi le groupe de curieux dans la salle. Peut-être même qu’il pourrait faire d’une pierre deux coups et rejoindre Gustave aussi ? Il était hautement préférable d’expliquer en personne la situation à l’elfe, afin de minimiser le risque qu’il ne s’emporte, mais s’ils pouvaient au moins le mettre au courant que Léanne le cherchait... Bref, pour ce qui était de l’implication de Vivian–

« Je ne suis pas encore familière avec vos procédures d’évacuations. », fit amicalement la vampire, résumant sa maigre connaissance de la chose par une mention à son passé.

« Je peux, par contre, vous portez main forte dans la réorganisation des volumes d’ici là. », termina-t-elle. Elle se mit à la tâche sans attendre, démontrant que sa remarque avait été une affirmation, et non une proposition ou une suggestion. Ce n’était pas un comportement orthodoxe pour une nouvelle recrue, mais monsieur Anderson choisit de ne pas réprimer cette réactivité, pour l’instant utile.

Le vampire tourna donc son regard vers la partie intacte visible de la bibliothèque, à la recherche d’un sorcier. Il ordonnerait ensuite l’évacuation, qui n’était après tout pas urgente. Elle aurait surtout pour but de libérer l’espace, pour éviter d’être gêné par des spectateurs, le temps de remettre de l’ordre. Toutefois, monsieur Anderson avait à peine fait deux pas pour s’éloigner que Vivian s’adresse à nouveau à lui :

« Peut-être que nous pourrions replacer les étagères ensemble lorsque l’évacuation aura été compléter ? Je crois qu’à deux nous avons la force nécessaire pour faire cela sans risque de dommages additionnels. Qu’en pensez-vous ? »

Il acquiesça rapidement, puis se détourna sans élaborer sur la question. Monsieur Anderson était un homme indulgent, prêt à offrir le bénéfice du doute à tous et chacun. Cependant, face à une vampire de plus de mille ans son aînée, il était conscient de la nécessité d’être prudent. Le dossier de Vivian et les premiers échanges qu’il avait eus avec elle en dressaient le portrait d’une femme aux penchants condescendants, d’abord intéressée par ses propres besoins. Il aurait été insensible de le lui reprocher – c’était probablement l’une des raisons de sa survie pendant tant de siècles – mais il fallait conséquemment qu’il garde à l’esprit que ce qu’elle proposait telle une aide cachait peut-être d’autres intentions que la générosité. Lui offrir un juste équilibre entre ouverture et autorité était particulièrement vital dans son cas. Devait-il tempérer les suggestions qu’elle soumettait ? Était-elle réellement le reflet de l’image froide qu’elle entretenait et, si oui, était-elle encline au changement ?

Être chef des vampires de la CAT n’était assurément pas une tâche aisée et monsieur Anderson n’avait que peu de place à l’erreur.

Le chef des vampires n’eut pas besoin d’aller bien loin avant de repérer un homme d’un certain âge qui était, de toute évidence, sorcier. Bien que soi-disant en train de lire, il était évident que le Catien était attentif à la scène se déroulant à une quinzaine de mètres de là. Monsieur Anderson lui résuma ce qu’il attendait de lui et le sorcier hocha la tête.

« C’est Alejandro qui est là aujourd’hui, monsieur. Les deux elfes que vous cherchez se sont enfui. Je suis à peu près certain qu’Alejandro ne les a pas pourchassés... »

Le vampire eut alors un mauvais pressentiment. Se détournant du sorcier (qui ferma les yeux et fit visiblement l'effort télépathique réclamé par le chef des vampires pour parvenir à joindre le dénommé Alejandro directement), il revint sur ses pas.

« Vivian, aidez-moi. Nous allons redresser les étagères. », décida monsieur Anderson.

Son ton de voix était calme et courtois, comme toujours, mais il était évident qu’il n’estimait pas avoir à justifier sa requête. Une personne le connaissant bien y aurait probablement décelé le signe de son inquiétude. C’est d’ailleurs sans attendre de confirmation qu’il se positionna à l’une des extrémités de la première étagère tombée, s’agenouillant pour être prêt à soulever l’imposant meuble dans un effort coordonné, et fit signe à la vampire de prendre place de l’autre côté.

Les étagères de la bibliothèque principale de la CAT étaient faites de bois massif et donc, avec ou sans livres, étaient bien trop lourdes pour être déplacées à mains nues par un humain. Pour un vampire, l’effort à fournir demeurait conséquent. Par contre, en s’y mettant à deux, l’exercice devenait faisable, sans être nécessairement facile, et relativement sécuritaire, bien que ce n’était pas idéal. Vivian n’offrit heureusement aucune opposition ou hésitation à la demande de son chef, acceptant même de sacrifier un peu de sa coquetterie, et ils parvinrent ensemble à manoeuvrer la large étagère sans trop perdre ce qui restait de son contenu.

Comme l’avait pressentit monsieur Anderson, il y avait bien quelqu’un sous le meuble. Vivian fut cependant surprise et, avec une exclamation d’étonnement, elle lâcha la bibliothèque pour se précipiter vers la forme inanimée d’Alejandro.

« Vivian ! », la réprimanda le chef des vampires. Le meuble était stable, par chance, parce que l’interpellée semblait avoir totalement changé de priorité, entre l’étagère et l’homme blessé dessous.

La vampire ne paru pas l’entendre, ou bien elle ne lui accorda pas d’importance, et piétina sans cérémonie les livres au sol pour atteindre le bibliothécaire. Monsieur Anderson se souvenait avoir lu dans le dossier de Vivian qu’elle avait, entre autres, une formation médicale. Il ne s’indigna donc pas davantage (pour l’instant) de l’agitation de son élève. Après un rapide regard vers l’étagère pour confirmer que le meuble et le reste de son contenu ne bougeraient pas, monsieur Anderson rejoignit Vivian, plus calmement, mais sans être plus soigneux des ouvrages éparpillés qu’elle ne l’avait été.

Le chef des vampires s’agenouilla à côté d’Alejandro et glissa deux doigts sur son cou pour s’assurer qu’il y avait un pouls. En même temps, il redressa la tête vers les curieux qui s’étaient approchés, bien moins gênés maintenant qu’il y avait tant d’action.

« Vous, trouvez nous une fée capable d’aider. Vous, allez à l’infirmerie les prévenir. Et vous, je vous charge de l’évacuation de cette salle. », ordonna-t-il en désignant trois Catiens dont il reconnaissait les visages, à défaut d’avoir les noms.

La CAT comptait sur une équipe médicale efficace, entre autres composée de plusieurs fées expertes en guérison. Il n’était pas attendu des autres Catiens qu’ils soient particulièrement versés dans ce genre de compétences. La seule exigence était une formation en premiers soins d’urgence, avancée pour les officiers. De cet entraînement, pour les circonstances actuelles, l’élément principal qui vint en tête du vampire fut l’importance de ne pas déplacer le blessé. Il passa donc précautionneusement ses doigts sur le cuir chevelu de l’homme en prenant garde à ne pas lui bouger la tête, mais essayant d’évaluer s’il y avait une blessure crânienne.

« Pas de sang au niveau de la tête, à première vue. », nota le vampire à voix haute, puisque Vivian avait l’air de savoir ce qu’elle faisait.

Il ne laissa pas son regard s’attarder sur la main mutilée d’Alejandro, que la vampire venait de découvrir, et leva plutôt les yeux pour vérifier, de là où il était, que les curieux se dispersaient effectivement.

« Il me faut quelque chose de rigide. Vite ! Je vais lui replacer les doigts et essayer de limiter les dégâts ! », exigea Vivian, qui avait entreprit de déchirer des pans de sa jupe probablement pour une attelle ou un bandage.

Monsieur Anderson tourna la tête, cherchant autour de lui. Quelque chose de rigide ? À part des livres...

« C’est trop. C’est trop, je ne peux pas… J’ai… J’ai besoin d’aide »

L’attention du chef des vampires revint immédiatement et entièrement sur la femme en face de lui. Se penchant par-dessus le corps inanimé d’Alejandro, il agrippa les épaules de Vivian fermement pour l’obliger à le regarder en sentant sa détresse, dont la cause n’était pas difficile à deviner.

« Vivian ? Vivian. Écoutez-moi. Vous sortez d’ici et vous allez dans votre chambre. », décréta-t-il, intransigeant, son regard planté dans celui humide de la vampire. Il détestait l’idée de devoir rejeter la demande d’aide de son élève, d’avoir à l’abandonner dans ce moment de vulnérabilité, mais il lui fallait gérer le cas critique d’Alejandro en priorité. Il lui fallait la confirmation que l’était du bibliothécaire était stable.

Sans lâcher Vivian, il tourna son attention en direction des groupes disparates de Catiens en train d’évacuer les lieux et y repéra un vampire.

« Emilio. », interpella-t-il. « Je la veux au cinquième sous-sol. Pas de question. »

Emilio s’approcha. Monsieur Anderson obligeant Vivian à se mettre debout et à reculer, et se plaçant ensuite entre elle et le bibliothécaire assommé, ne la lâchant que lorsqu’il fut sûr qu’Emilio prendrait le relais. Il leur tourna alors le dos et se pencha de nouveau sur Alejandro. Avec un peu de chance, le sorcier serait rapidement pris en charge par l’infirmerie et monsieur Anderson pourrait alors aider son élève.

Monsieur Anderson se saisit du poignet d’Alejandro et serra, usant de sa force pour improviser un garrot sans avoir à s’intéresser à la plaie de trop près, s’obligeant à ne pas reconnaître la sensation poisseuse et tiède du sang sous ses doigts. Il plia doucement le coude du bibliothécaire pour surélever sa main légèrement. Et puis il se résolu à attendre ainsi, tandis que la bibliothèque se vidait progressivement de ses derniers occupants.

Il comprenait la faiblesse de Vivian. Elle n’était pas à la CAT depuis très longtemps. Quelques mois plus tôt, cette situation aurait été une opportunité, rien de plus. Demander à un prédateur de mettre ses instincts de côté après plus de dix siècles ? L’expérience ne pouvait se faire sans heurts. Le chef des vampires espérait qu’elle comprendrait sa décision de l’exclure, qui était la solution de facilité, l’option rapide. Même si, ultimement, il était son supérieur et non son ami ou sous confident, il aspirait à être un leader et non un tyran. Il était nécessaire qu’elle saisisse et approuve les jugements qu’il posait. Il espérait – avait besoin – d’avoir la confiance des gens qui l’entouraient. Et c’est pour cette exacte raison que le regard du vampire resta rivé sur le visage d’Alejandro et nul part ailleurs.

L’arrivée d’une fée le tira de ses réflexions. Il leva les yeux vers elle, ne la reconnaissant pas.

« Hum. Monsieur ? Bonjour. Je ne suis pas infirmière, mais... »

Elle laissa sa phrase en suspend, désigna le corps inanimé entre eux, et monsieur Anderson hocha la tête une fois, l’autorisant à prendre le patient en charge. Il ne relâcha toutefois pas sa prise, attendant d’avoir l’opinion de la fée pour ce faire. Son attention revint au visage d’Alejandro, une mise à la terre, un moyen de rester concentré sur ce qui était important et d’ignorer les pensées parasites suggérées par ses instincts. Il avait de l’entraînement, heureusement.

« À moins que vous n’insistiez, je ne tenterai pas de replacer ses doigts. C’est un peu au-delà des choses dont j’ai l’habitude. Il vaudrait mieux qu’une fée plus expérimentée que moi s’en charge. », nota la guérisseuse après une inspection rapide de la main du bibliothécaire. Elle s’intéressa ensuite à la tête et au torse du blessé.

« Il a également une contusion sévère au niveau des côtes... Pour sa main, je devrais être capable d’arrêter l’hémorragie. Ce sera mieux qu’une ligature... », continua-t-elle, une touche d’hésitation dans la voix.

« Quel est votre nom ? », demanda monsieur Anderson, détachant son regard d’Alejandro pour offrir son attention à la fée.

« Ashaisha, monsieur. »

« Je m’en remets à vos talents, Ashaisha. Vous ferez de toute évidence mieux que ce dont je suis capable. », remarqua le chef des vampires avec un léger sourire rassurant.

La fée le lui rendit, hocha la tête, et se mit au travail. Éventuellement, Ashaisha lui prit le poignet d’Alejandro des mains et monsieur Anderson lâcha prise docilement. Il se mit debout et s’éloigna de quelque pas. Il ne pu résister à la tentation de jeter un coup d’oeil à sa main, rougit du sang du sorcier. Évidemment, l’idée de porter ses doigts à sa bouche lui vint. Du sang bien plus frais que tout ce que la CAT aurait jamais à offrir... Sans blesser personne... Enfin, techniquement. Sauf que...

La porte de la bibliothèque s’ouvrit, monsieur Anderson laissa prestement retomber sa main, et Gustave entra. Le regard perçant de l’elfe passa du visage de son collègue vampire, à la main de ce dernier, puis au corps d’Alejandro, et revint finalement se fixer dans celui du chef des vampires. Il pinça les lèvres et monsieur Anderson serra la mâchoire. Évidemment, il fallait que Gustave arrive à cet instant précis.

Le chef des elfes était suivit de deux autres elfes, correspondant à la description qu’avait fait Vivian des coupables, et de Léanne.

« Monsieur Anderson. », le salua sèchement Gustave.

« Bonjour, Gustave. », tenta aimablement le chef des vampires.

« Je prends le relais. C’est plus... prudent. », décida l’elfe, avec un rictus narquois en prononçant le dernier mot.

Il aurait pu choisir n’importe quel autre qualificatif. Il était le mieux placé avant tout parce que c’était l’indiscipline de deux elfes qui était à corriger. Mais bon. Peut-être avait-il raison...

Monsieur Anderson ne répliqua rien. Le chef des elfes s’était, de toute façon, déjà détourné; pour se mettre à expliquer à ses deux élèves quelle serait la sanction pour leurs actions ou pour s’enquérir de l’état du bibliothécaire, monsieur Anderson ne chercha pas à savoir. Avec un signe de tête à l’intention de Léanne en guise d’au revoir, le vampire quitta la bibliothèque au moment où deux infirmières y entraient.

Il se dirigea vers la salle de bain la plus près et se lava consciencieusement les mains.

Puis il prit la direction du cinquième sous-sol de la base. Une élève avait besoin de lui.

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