Bien droit, les mains derrières le dos, presque au garde-à-vous en fait, monsieur Anderson était debout sur l’estrade et attendait que l’auditorium se remplisse. Seuls ses yeux bougeaient alors qu’il promenait son regard sur les élèves devant lui. La grande majorité d’entre eux étaient soit d’autres races que la sienne, soit de jeune Vampires. En effet, les plus vieux ne suivaient ce cours qu’une fois, par obligation, sachant déjà ce qui allait s’y dire. Par contre, les inexpérimentés et les non-vampires étaient généralement intéressés à comprendre le fonctionnement de la transformation vampirique. Et oui, c’était là le sujet du cours d’aujourd’hui.

Ce n’était pas la première fois que l’imposant monsieur Anderson donnait ce cours et, à chaque fois, il réutilisait le même document Powerpoint. Bien que l’informatique fut une chose infiniment plus jeune que lui, le Vampire avait appris à en faire usage et se débrouillait même mieux que beaucoup de jeunes. Il lança la projection de son diaporama à l’aide de la manette qu’il tenait à la main, derrière lui. Lorsque les premiers mots s’affichèrent, ce fut comme un signal et le silence se fit, dans l’attente que le chef des Vampires bouge enfin.

Et il bougea. Du moins, ses lèvres, alors qu’il dictait ce qui s’affichait sur la diapositive, sans même la regarder.


Il ne bougea réellement qu’ensuite, pour arpenter lentement l’estrade de gauche à droite alors qu’il commençait véritablement son cours d’un ton neutre. Ce faisant, il posait son regard sur un étudiant, puis un autre, mémorisant leurs visages et s’assurant de les garder attentifs.

« La première des choses qu’il vous faut savoir et qui en décevra peut-être quelques uns, adeptes de littérature, est que le mot ‘‘reproduction’’ n’existe pas quand on parle du fait d’engendrer de nouveaux Vampires. Sans entrer dans les détails techniques, c’est l’une des caractéristiques qui nous place dans la catégorie des non-vivants/non-morts, d’un point de vue scientifique. Les Vampires sont une race de créatures stériles au sens biologique du terme. En effet, ce que nous avons la capacité d’engendrer ne possède aucun lien filial avec son engendreur, si ce n’est sur le plan moral. »

Monsieur Anderson avait sciemment omis une plus longue explication, entre autre sur la caractérisation biologique du vivant, ce point ne servant que d’introduction pour le reste. Il voulait simplement en venir à la question qu’il savait maintenant être dans l’esprit de ses auditeurs : Si ce n’était pas de la reproduction, alors qu’est-ce que c’était ?

« Nous disons des Vampires qu’ils ‘‘transforment’’ un individu d’une autre race en individu vampirique. Ainsi, aucun Vampire n’est né Vampire. Nous avons tous, par le passé, appartenu à une autre race. Il existe néanmoins des restrictions quant à ces ‘‘autres races’’, peu nombreuses, capables de subir la transformation. »

Appuyant sur le bouton de changement de diapositive, il fit apparaître celle qui suivait :


« Comme vous le constatez, la transformation d’un Elfe ou d’une Fée en Vampire est impossible. Toute tentative de ce genre se soldera par la mort de l’Elfe ou de la Fée, la biologie de ces êtres étant conçue pour accepter la mort plutôt que de subir la transformation. Par ailleurs, tenter de transformer un Ange ou un Vampire en Vampire ne fait aucun sens. Les deux seules races à partir desquelles il est possible d’effectuer la transformation sont les Humains et les Sorciers. Cependant, cela n’est possible que lorsque la tentative de transformation suit les règles de ce que nous avons appelé ‘‘La Charte de Transformation des Vampires’’. »

À nouveau, monsieur Anderson changea de diapositive :


« Comme vous le constatez, il faut certaines conditions pour qu’une transformation vampirique s’effectue. Le sang du créateur en est la clef. C’est dans notre sang, qui doit être avalé par l’Humain ou le Sorcier mourant, que se trouve ce qui permet la transformation. Une transfusion sanguine n’aurait pas le même effet. De plus, cet agent capable d’induire une transformation en Vampire est moins agressif qu’on ne pourrait le croire. En effet, il ne pourra fonctionner que sur des individus exsangues, ceux-ci étant trop faibles pour combattre l’effet. Notez que le manque de sang n’induit pas chez un Humain les mêmes effets qu’une maladie et, bien que tous deux affaiblissent l’individu, la maladie ne permettra pas une transformation. Finalement, il est bon de mentionner qu’un Sorcier transformé ne sera pas différent d’un Humain transformé. À ce niveau, ces deux races s’équivalent.

La transformation ne peut pas être annulée, mais elle peut échouer. La marge de manoeuvre est relativement mince. Si l'individu a perdu trop de sang, il mourra. S'il n'en a pas perdu assez, il ne se transformera pas. »

Il marqua une pause, vérifiant qu’il ne croisait aucun regard interrogatif dans l’assistance. Toutefois, ses explications étaient vraisemblablement claires, puisque tout le monde semblait attendre la suite.

« Tous les Vampires ont la capacité d’engendrer de nouveaux Vampires. Néanmoins, cette aptitude ne constitue pas un devoir ni même un droit. Comme beaucoup de grands prédateurs, les Vampires ne sont pas connus pour être particulièrement sociaux. Conséquemment, beaucoup de jeunes transformés se retrouvent livrés à eux-mêmes, devant apprendre à composer seuls avec leurs nouvelles facultés et l’immortalité qui les attend. Du moins, pour ceux qui parviennent à survivre à leurs premières années... Soyez-en conscients et considérez-vous chanceux de pouvoir faire partie de la C.A.T., où vous serez à la fois protégés et guidés. L’éternité peut être un fardeau littéralement interminable. Ou bien vous pouvez la mettre à profit pour devenir plus qu’une bête sanguinaire. »

C’était tout ce que monsieur Anderson avait à dire pour ce premier cours. Gérer l’immortalité n’était pas quelque chose d’universel. Par conséquent, il ne pourrait qu’aider individuellement les Vampires qui auraient des craintes à ce sujet, ce qu’il leurs rappela en les invitant à le contacter s’ils en sentaient le besoin. Il entendit ensuite un jeune Sorcier demander à sa voisine si elle pensait que leur professeur avait déjà engendré d’autres Vampires et comment elle imaginait ce qu’avait été sa vie d’avant. Cela fit sourire le chef des Vampires qui décida de conclure le cours, les esprits commençant à se dissiper.

« Au prochain cours, nous aborderons les caractéristiques propres aux Vampires. D’ici là, passez une bonne semaine. »