Après sa conversation avec Will, qui avait titillé sa curiosité au sujet du devenir de sa propre famille, Dieter avait essayé deux fois d'aller voir Ajartiel à son bureau, mais il avait dû se rendre à l'évidence devant ses tentatives infructueuses : le chef des Anges ne fréquentait son bureau que de manière exceptionnelle. On l'avait prévenu, pourtant, mais il avait quand même vérifié…

Dieter avait donc décidé d'aller trouver son chef de race à un endroit où il se trouvait forcément : en fin de cours, dans l'auditorium. Les cours délivrés par le chef des Anges cette semaine portaient tous sur des sujets qu'il avait déjà vu, mais tant pis, ça lui ferait une révision, s'était-il dit en s'installant parmi les derniers bancs, prenant quelques notes éparses et désordonnées sur un petit cahier.

Lorsqu'arriva la fin du cours, il se leva rapidement pour descendre les marches menant à l'estrade du professeur. Un grand gaillard, situé plus près, fut plus prompt que lui et Dieter resta un peu à l'écart, écoutant distraitement la conversation tout en ressassant ce qu'il souhaitait demander à Ajartiel.

Le grand type, qui avait l'air bien peu à l'aise, sembla clôre la conversation et Dieter revint au moment présent, juste le temps d’éviter de se faire rentrer dedans par l’ange barraqué qui avait l’air tout embarrassé.

« Oups, pardon », marmonna Dieter, s’excusant d’être dans le passage et s’écartant, avant de s’approcher un peu timidement de l’estrade, vérifiant que d’autres élèves n’avaient pas des questions plus urgentes en lien direct avec le cours - puisque lui, il venait demander un truc qui n’avait rien à voir…

« Hey ! Si c’est pas monsieur le bagarreur. » fit Ajartiel avec son enjouement coutumier. Le visage de Dieter exprima sa confusion, avant qu’il ne saisisse et ne retrouve son sourire en réaction à la blague de l’ange blond. Uh. Il s’était pas battu, lui, il s’était juste fait taper dessus… C’était vrai que la dernière fois qu’il avait croisé le chef des anges, c’était lorsqu’il était au trente-sixième dessous, tout éclopé.

« Qu’est-ce que je peux faire pour toi Dieter ? »

« Bonjour Ajartiel », le salua-t-il en triturant machinalement une de ses bagues, comme toujours un peu intimidé par la fonction de son interlocuteur (et aussi par le fait que leur dernière entrevue n'avait vraiment pas été à son avantage). « Mmh… En fait ça avait pas de rapport avec ce cours - désolé - mais je voulais savoir si c’était possible d’avoir des informations sur… ma vie d’avant ? Enfin, sur des gens que je connaissais avant - enfin sur des gens de ma famille. Euh...  » Il se gratta la nuque. « C’est possible ? »

L’expression joviale d’Ajartiel changea, et son visage montra clairement son incompréhension.

« Pourquoi ? » demanda le chef des Anges, les sourcils froncés. Uh. Dieter avait pensé que sa requête ne serait au final pas si inhabituelle que ça, mais peut-être que si - peut-être qu’il était bizarre, que les gens arrivaient tous très bien à tourner la page et à effacer de leur mémoire leur vie humaine après leur résurrection dans un corps angélique.

« Ils doivent tous être morts, non ? » asséna Ajartiel, sans prendre de pincettes. Le petit Allemand se ratatina un peu plus, se demandant s’il avait bien fait de venir poser sa question. Est-ce qu’il n’aurait pas mieux fait d’abandonner lorsque Will lui avait fait comprendre qu’il n’était pas intéressé par le fait d’y aller avec lui ? Il hésita un instant, ouvrant la bouche et la refermant, ses ailes se balançant doucement sur les côtés.

« ... Mmh, oui… », fit-il penaud. « Mais j’aurais quand même bien aimé savoir un peu comment… enfin, ce qu’ils étaient devenus après… Après que moi je sois mort. », continua-t-il, restant quand même sur son idée.

Il essaya de ne pas paraître trop troublé par la réaction d’Ajartiel, mais il était un peu perturbé, et ses épaules s’étaient tendues. Surtout que tout ça lui rappelait des choses qui, certes, l’intéressaient, mais étaient également douloureuses. Des souvenirs de son enfance et de sa courte vie d’adulte lui revinrent… En y réfléchissant, il se rendit compte que les visages de ceux qui avaient un jour été ses proches devenaient de plus en plus lointaines au fil des années. Est-ce qu’un jour il oublierait complètement ? Ça lui paraissait impossible, à lui qui était encore hanté par des visages de gens croisés si brièvement pendant la Grande Guerre, mais savait-on jamais…

« Vous auriez pas aimé savoir, pour vous ? » demanda-t-il très rapidement et timidement, buttant sur les mots. C’était une réelle interrogation. Est-ce que Dieter était si bizarre de se poser cette question, vraiment ?

Bon, a priori, non, le chef des Anges n’avait clairement pas l’air d’avoir envisagé la chose. Il semblait toujours aussi surpris de la requête de l’Allemand..

« T’as pas peur d’être déçu ? » demanda Ajartiel, apparemment plus curieux de savoir pourquoi le petit ange se posait cette question sur sa famille, que de chercher à se la poser à lui-même. « Le bonheur de l’ignorance, tout ça, tout ça... »

Dieter envisagea la chose. Être déçu… Il ne savait pas. Si on lui disait que son père était subitement devenu quelqu’un de bien, aurait-il été déçu de ne pas l’avoir connu à ce moment de sa vie ? Probablement pas. Le concernant, les meilleurs sentiments qu’il pouvait lui réserver était un certain oubli. Parfois, le fait de se remémorer la période de sa vie avec son paternel le faisait serrer les dents tandis que la peur, la colère, la soumission, la répulsion, la culpabilité et la révolte s'entremêlaient dans un mélange d'émotions désagréables. En fait, son père l'avait suffisamment déçu de son vivant pour que Dieter ne puisse envisager la possibilité d'être déçu par ce qui lui était arrivé par la suite. Enfin, là tout de suite, c’était comme ça qu’il le ressentait.

En revanche, penser à sa mère, ou bien à ses sœurs, le rendait un peu mélancolique et triste de ne savoir ce qu'elles étaient devenues, même si, comme l'avait souligné Ajartiel, il était peut-être préférable de ne pas savoir. Son frère, bien qu'ils n'aient pas été très proches durant leur enfance, l'était devenu dans ses pensées par solidarité pour un autre soldat envoyé comme lui au casse-pipe. Il aurait voulu savoir s'il était mort au front, comme lui, ou s'il avait survécu et dans ce cas, comment il avait pu réussir à mener une vie normale, après - ou si ça avait été impossible. De même, il se demandait parfois ce qu’étaient devenus les amis qu’il s’était fait et toutes les personnes qu’il avait pu croiser durant son existence...

L'ange aux ailes blanches n'attendit pas la réponse et haussa les épaules en reprenant :

« Meh. Oui, c’est possible. » Oh ! Le regard de Dieter se fit plein d'espoir. « Par contre, tu te doutes bien que j’ai pas ça sur moi, là, tout de suite. Faudra probablement prévoir quelques jours pour que je repêche l’info. C’est pressé ? » Ah… Les épaules du petit Allemand s'affaissèrent. Il avait espéré pouvoir les consulter rapidement, si la réponse à sa requête était positive. Il allait falloir attendre encore avant de satisfaire sa curiosité… « Ah et puis, des fois que mes petits yeux innocents auraient le malheur de tomber là où il faut pas... T’as pas trop de trucs à cacher, j’espère ? » demanda-t-il avec son sourire joueur.

Tout en lui rendant rapidement son sourire par réflexe, Dieter resta silencieux quelques instants après la longue intervention d'Ajartiel, réfléchissant sérieusement à la chose. Est-ce que la CAT pouvait savoir des choses sur lui qu'il n'avait pas forcément envie qu'on sache ? Uh… Évidemment, c'était pas très agréable de se voir déballer toute une partie de sa vie, de constater qu'on connaissait des choses sur lui sans qu'il n'ait pipé mot de son histoire ; mais en vérité, il aurait bien aimé savoir ce que la CAT avait pu rassembler comme informations le concernant. Et comment ils avaient pu rassembler ces infos, d’ailleurs. C'était vraiment intriguant. Et puis, c'était des choses qu'il voulait savoir depuis longtemps et qu'il n'avait jamais pu découvrir par lui-même, parce que ça remontait à très loin et par souci de discrétion également.

« Mmh… » fit-il avant un nouveau silence de quelques instants. « Je ne sais pas… » Nouvelle pause.

Encouragé par le revirement positif de son chef de race, il reprit pour tenter de mieux expliquer le pourquoi de sa démarche : « C'est surtout pour mes soeurs que j'aurais voulu savoir… Par exemple, est-ce qu'elles ont eu des enfants, qui seraient peut-être encore vivants. Et puis mon frère, savoir s'il a survécu… enfin je veux dire s'il était en vie quand je suis - uh. Et ce qu'il a pu faire après. Et puis ma mère, si ça n'a pas été trop dur… Surtout avec - »

Il s’interrompit.

« En vrai pour mon père je m'en fous », lâcha-t-il soudain en serrant les poings. « J'espère qu’il est - qu'ils l'ont - uh. » Il pinça les lèvres. Jeté dans une fosse commune. Laissé crever de faim jusqu'à ce qu'il implore le pardon de tout ceux à qui il aurait fait du mal. Qu'il soit mort en souffrant. Parfois, tous les sentiments négatifs qu’il avait pour son père se cristallisaient en haine pure et simple. Uh… il se reprit rapidement, baissant la tête, se sentant coupable et honteux de penser ainsi à celui qui était son géniteur. Et puis, qu'allait penser Ajartiel de la soudaine dureté de son ton ?

Ajartiel eut le tact de ne pas insister sur le sujet du père de Dieter. À la place, il détourna le sujet sur un ton un peu humoristique.

« Uh. T’imagines ? Tu pourrais découvrir que t’es l’oncle d’un mec assez vieux pour être ton grand-père... »

« Mmh », fit Dieter, baissant à nouveau le regard, un peu songeur. Il y avait pensé. C'était vraiment bizarre d'être un ange. Il avait déjà imaginé un enfant avec les traits de sa sœur, qui aurait grandi et vieilli, et se retrouverait aujourd'hui comme une vieille pomme ridée. C’était vraiment un sentiment très étrange…

Ajartiel enchaîna en lui faisant remarquer que même s’il venait à apprendre l’existence de membres de sa famille encore en vie, il ne pourrait pas les voir. Dieter baissa le regard, quelque peu attristé par la remarque. Il avait beau savoir que ce n’était pas possible, il aurait aimé pouvoir. Evidemment, il y avait plein de bonnes raisons expliquant l’instauration d’une telle règle. Déjà, comment aurait réagi n’importe quel humain lambda en découvrant qu’un être ailé et immortel débarquait… Ils seraient subitement devenus très religieux ? Ils se seraient mis à l’adorer comme un envoyé de Dieu ? Ils auraient consigné ses paroles et ses actes dans un livre qu’ils auraient appelé le Tout Nouveau Testament ? Ils l’auraient tué, par peur ? Quoiqu’il en soit, ce règlement dont parlait son supérieur était sensé. Dieter n’était pas vraiment du genre à se rebeller contre les règles, surtout s’il savait qu’elles étaient justifiées.

Mais c’était triste à entendre malgré tout.

« Bref ! J’te recontacte quand j’ai repêché le truc. » lança Ajartiel avant de s’en aller sans plus attendre, mettant apparemment fin à la conversation. Alors que Dieter rassemblait ses esprits, se demandant si Ajartiel n’allait pas oublier sa requête, si le “je te recontacte” n’était pas une manière de remettre cette histoire aux calendes grecques, ou s’il n’allait pas oublier en toute bonne foi, le chef des Anges fit volte-face.

« Dis, tiens, ça s’est passé comment finalement ? Avec le Vampire ? » demanda-t-il, curieux.

Dieter planta ses yeux dans ceux d'Ajartiel et resta silencieux un bref instant, surpris par le changement brutal de sujet, avant de les baisser pour regarder le sol. « Oh », fit-il. « Il m’a - C’est bon. Will m’a demandé pardon… » Il passa une main sur sa nuque. « Il n’est pas très doué pour parler, mais il m'a présenté ses excuses. », continua-t-il avec un sourire. Il se sentait un petit peu touché qu’Ajartiel se préoccupe de cette histoire.

Bon, dire que tout s’était bien passé était peut-être un peu exagéré. Will l’avait fait pleurer, quand même. Uh. Mais au final, le petit ange avait reçu des excuses et ne s’était pas refait agresser, donc c’était déjà pas mal.

Ajartiel sembla interloqué par la réponse de Dieter, et il resta bouche bée quelques instants. Cela ne dura pas (voir Ajartiel silencieux pendant longtemps, ça aurait quand même été bizarre), et il rouvrit la bouche pour faire part à son congénère de ses propres sentiments et interrogations quant au vampire.

« Perso, je l’ai jamais entendu parler… Évidemment, je l’ai pas non plus tellement côtoyé... comme à peu près tout le monde, de ce que j’ai compris. », dit-il. Oh ? Dieter ne savait pas pourquoi, mais il s’imaginait que Will avait dû déjà avoir affaire avec les différents chefs de race, et à Ajartiel aussi, du coup. Comme un enfant à problème qui connaît forcément tous les adultes de l’école à force d’être renvoyé de l’un à l’autre après avoir fait toutes les bêtises imaginables. Dans le cas de Will, le petit Allemand pensait qu’il se serait agi certainement de problèmes bien plus graves que des frasques d’un gamin insupportable. Quoique vu qu’il évitait tout le monde, il n’avait peut-être pas tant eu l’occasion de faire des bêtises…

« J’ai du mal à voir quel intérêt l’a poussé à demander pardon. C’était vraiment des excuses ? J’aurais cru qu’il se fichait bien de l’opinion des autres. Je comprends mal pourquoi la tienne serait différente à ses yeux... »

Uh… Dieter baissa les yeux, mal à l’aise. Pourquoi est ce que Will lui avait demandé pardon ? Est-ce qu’il fallait vraiment qu’il ait un intérêt pour le faire ? Le fait d’avoir fait quelque chose de mal et de le savoir devrait suffir comme raison… C’était pas si bizarre, si ?

Enfin, les réflexions d’Ajartiel n’étaient pas dénuées de bon sens. Dieter savait que Will devait effectivement se ficher de l’opinion des autres… Et peut-être même de la sienne, en fait. Peut-être avait-il vraiment besoin d’un intérêt pour présenter ses excuses. Peut-être qu’il n’avait fait cette démarche que parce qu’il y avait été obligé, et que ce n’était pas sincère… Et que l’opinion de Dieter ne comptait pas du tout pour lui. Que seule l’intéressait le fait qu’on le laisse tranquille, et que présenter ses excuses était la manière d’obtenir cela.

Ça le rendait triste. Est-ce qu'il n'avait vraiment aucune valeur aux yeux de Will ?

« Et il va se passer quoi ? » demanda Ajartiel. « J’veux dire... Vous êtes, genre... amis ? »

Ajartiel semblait extrêmement dubitatif quant à la sincérité des excuses de Will. Et Dieter aussi, en fait. Il avait essayé de ne pas trop y penser, mais il ne pouvait s’empêcher de suranalyser et de se faire toutes sortes de films.

« Mmh… Je… » balbutia le petit ange en martyrisant son bras gauche de sa main droite, regardant toujours le plancher. « En fait je ne sais pas trop. » poursuivit-il après un temps. « Une fois, il m’a dit qu’il… Enfin, ça sonnait comme si il supportait ma présence. Je… Uh. Je suis pas sûr que ça compte comme le fait d’être ami. Je sais pas s’il me considère comme tel. »

Et il en était attristé.

Uh. Il avait l’impression de confier beaucoup trop de chose à son supérieur hiérarchique. Ajartiel avait beau être quelqu’un d’abordable et facile d’accès en apparence, Dieter était mal à l’aise à l’idée qu’il lui confiait des choses aussi personnelles. Il ne lui avait pas parlé souvent, et ça avait toujours eu un rapport avec des cours, ou des trucs administratifs. Rien de ses états d’âme, de ses relations avec d’autres, rien de profond quoi.

« Je sais plus trop comment il l’a dit, mais en tout cas il a dit qu’il avait eu tort de… faire ce qu’il avait fait. » Il déglutit en posant machinalement une main sur l’épaule qui s’était retrouvée broyée par la main de Will. En tout cas, Dieter avait décidé que c’était des excuses suffisantes.

Okay, là il avait l’impression clairement d’en dire trop, mais bon. Peut-être qu’il avait vraiment besoin de parler. Et puis, c’était Ajartiel qui avait abordé le sujet…

« Mais je sais pas ce qui va se passer… » reprit-il, malgré cette impression de trop parler. « En vrai moi je… Hmm. Je le trouve intéressant ? Je sais pas. Même s’il ne parle pas beaucoup, il est… Oui, intéressant, je suppose. Même s’il fait peur. » avoua-t-il, croisant les bras très fort contre sa poitrine.

« Enfin bon. Je ne sais pas si je peux le considérer comme un ami… » Si Will était son ami, il ne devrait pas avoir peur de lui. Shan était son ami, même s'il le gonflait régulièrement. Itzhak était son ami, même s'ils ne se confiaient pas tout. Mais malgré ces petites ombres, il n'avait pas peur d'eux, contrairement à Will. « Et puis je sais pas ce qui va se passer maintenant avec lui. » répéta-t-il. Ça le turlupinait.

Ajartiel sembla l'écouter, et s'assit même à moitié contre un siège des sièges du premier rang. Apparemment qu'il n'était pas si pressé.

« Mais tu aimerais bien. », dit Ajartiel en réponse aux explications et questionnements du petit ange. « Qu’il devienne moins effrayant, plus bavard, et cetera. Qu’il y ait matière à y voir un ami. Au-delà du fait qu’il accepte de juste tolérer ta présence. Ou celle de n’importe qui. »

« Mmh », acquiesça timidement Dieter, tête baissée et gorge serrée.

« C’est noble. » remarqua son chef. Dieter releva la tête et ouvrit grand les yeux, surpris. Noble ? C'était pas ce à quoi il se serait attendu comme réflexion. Un peu pitoyable ? Pas très raisonnable ? Voilà, quelque chose comme ça. En tout cas, c'était ce qui était ressorti des discours que ses amis lui avaient fait, même si évidemment, ils avaient suffisamment de tact (même Shan) pour ne pas lui asséner ce genre de chose avec ces mots.

Ajartiel reprit rapidement la parole, et ce fut pour lui parler de choses tout à fait personnelles, lui aussi. Le petit Allemand s'en trouva encore plus étonné, lui qui avait l'impression que le chef des Anges n'était pas du genre à avoir ce genre de discussion avec un subordonné.

Pas foi en l'humanité ? Il les trouvait absurdes ? Uh… L'ange blond avait semblait-il une vision très pessimiste de l'homme. Mais en réalité, Dieter aussi. La plupart des gens étaient incompréhensibles, et d'autres montraient clairement qu'ils étaient prêts à marcher sur les autres pour ce qui relevait de leur simple confort. D'autres encore faisaient du mal par plaisir. D'autres encore ne savaient simplement pas comment vivre en harmonie avec les autres et les blessaient parce que c'était la seule manière qu'ils pensaient avoir de vivre.

« Mais t’es peut-être un peu moins obtus que moi. Et donc tu sauras peut-être répondre plus objectivement. Et je te croirai si tu me dis que... Tu y crois ? »

L'Allemand releva la tête, les lèvres serrées, et planta brièvement ses yeux gris dans ceux d'Ajartiel avant de les baisser à nouveau, la mine défaite.

« Je ne sais pas. » lâcha-t-il après un temps plutôt long durant lequel il retourna ses pensées dans tous les sens. « Je - je ne sais pas. » Qu'est-ce qu'Ajartiel lui demandait, exactement, en fait ? S'il y croyait à quoi ? À l'humanité en général ? Ou au fait que Will puisse devenir un ami ? Et puis, est-ce qu'il ne le considérait pas comme un peu trop gentil, en décrivant son attitude comme “noble” ? Ne le considérait-il pas comme une bonne poire, celui qui se fait toujours avoir ? « Je - » Il allait répéter une troisième fois qu'il ne savait pas, mais s'abstint juste à temps.

Après avoir fait plusieurs tentatives infructueuses pour parler, lui donnant l'air d'un poisson hors de l'eau, il parvint enfin à s'exprimer.

« Moi aussi je trouve les gens... absurdes, imprévisibles, illogiques, parfois mauvais. » fit-il d'un ton triste plutôt que celui, méprisant qui aurait normalement dû accompagner de tels propos. « Enfin je veux dire en général, hein, pas tout le monde. Vous ça va, hein. », se sentit-il obligé de préciser, tout en faisant nerveusement tourner l'une de ses bagues autour de son doigt. Il continua précipitamment : « Enfin pas uniquement vous non plus, je veux dire, y a d'autres gens que j'aime bien - » Il se mordit la lèvre en baissant la tête. Uh. Wow. Comment il s'empêtrait tout seul… Il sentait ses oreilles chauffer et ses joues devenir rouge vif, au comble de l’embarras.

« Uh. Enfin pour Will, oui… J'aimerais bien. Qu'il me parle un peu plus. Enfin… Je sais que je ne peux pas lui faire confiance sur tout, mais en tout cas je pense qu'il ne m'a jamais menti… Il est juste un peu… sauvage, peut-être ? Je ne sais pas. Il a juste l'air de pas savoir comment s'y prendre. »

Oui, il était sérieusement en train de prendre la défense de quelqu’un qui l’avait estropié plusieurs jours. Peut-être qu’il était bien la bonne poire, celui qui se fait toujours avoir. Uh.

Il inspira.

« J'aimerais bien y croire. »

« Évidemment que tu m’aimes bien ! Tout le monde m’aime. » lança Ajartiel après le monologue peu assuré de Dieter. Okay, ben y en avait qui n'avaient pas de problèmes avec l'estime de soi. Waw. Cela eut au moins le mérite de dérider un peu l'ange, qui fit un petit sourire - c'était probablement le but.

Le chef des Anges lui signifia toutefois qu'il n'avait pas été convaincu par ce qu’avait pu dire Dieter. En même temps, si lui-même n'y croyait qu'à moitié…

Il poursuivit en le re-décrivant comme "noble", en ajoutant "mais pas cinglé". Ah okay. Merci bien. Enfin, en fait, les interrogations sur sa santé mentale avaient déjà été présentes dans ce que lui avait dit Shan, dont le tact était peut-être encore plus inexistant que celui d'Ajartiel.

« C’est bien. Je m’étais demandé s’il fallait pas s’inquiéter pour ton instinct de survie. Ou ta survie tout court, en fait. Me voilà un peu rassuré. »

Non non, Dieter avait encore envie de vivre. Il était déjà mort une fois, c'était suffisant, merci bien. Peut-être que ce qu'il faisait ne paraissait pas être en accord avec ce voeu, mais bon… Il essayait. Promis.

« Si tu lui fais pas entièrement confiance, tu crois pas que ce serait quand même bien de continuer ta petite expérience en prenant des précautions ? »

Uh ? Petite expérience ? Il ne considérait pas sa relation avec Will comme une petite expérience… Il considérait ça comment, en fait ?  Aucune idée. Bref, il n'allait pas non plus se formaliser pour ça.

Ajartiel poursuivit ensuite avec une proposition. Des cours de combat spécialisés ?!? Dieter releva complètement la tête, les yeux grands ouverts.

« Oh ! » fit-il, surpris et enthousiaste. Un sourire franc se dessina sur son visage. « Des… Oh. Ça me plairait bien ! »

Il poursuivit, baissant les yeux.

« Je ne pense pas être le meilleur de mon groupe, bien loin de là, mais c'est vrai que parfois j'aimerais bien qu'on voit… Je sais pas. Des situations particulières comme celle que j'ai vécu. » Des techniques de combat contre un vampire, c’était plutôt intéressant. Dieter savait qu’il avait beau être capable de se battre honorablement contre un sorcier, un ange, un elfe ou une fée, il n’avait pas l’impression que sa rapidité et ses réflexes naturels, pourtant assez bons, lui permettaient de rivaliser avec la force brute d’un vampire.

«J'avais encore peur la dernière fois que je l'ai vu au grand salon... » avoua-t-il. « Je serais peut-être plus rassuré comme ça, les prochaines fois que je le rencontre. »

« Ben je t’avouerais que personne n’a pensé à faire une section du programme sur ‘‘comment se défendre quand votre ami Vampire pète un câble’’... »

Uh. Dieter garda un petit sourire, mais baissa la tête. Zééééro tact, le chef des anges.

« Lundi en début de soirée, ça t’irait ? », proposa Ajartiel. Ah ! Une date précise ! Là, a priori, il s’engageait et le petit Allemand était à peu près sûr que ce serait tenu (sauf changement de dernière minute, certes) - contrairement à sa vague promesse de regarder les infos que Dieter lui avait demandé sur sa famille et son devenir. Mais à ce sujet, l’ange pourrait relancer Ajartiel, s’il le revoyait à cette occasion.

« Mmh ! Oui, c’est possible pour moi. » fit Dieter, enthousiaste, un sourire jusqu’aux oreilles et remuant doucement ses ailes. Ses lundis soirs étaient libres, tout comme ses dimanches soirs, d’ailleurs. Surtout pour des entraînements en plus. Il aimait bien.

« Merci pour tout, alors.  » fit-il, sentant que la conversation arrivait à sa fin. « À bientôt... » Il salua son chef de race et recula de manière gauche avant de remonter rapidement les marches de la grande salle théorique où restaient encore quelques personnes, certaines discutant, d’autres regardant leurs notes avant de quitter les lieux.

Bon ! Une bonne chose de faite. Et une occasion inattendue de progresser qui venait d’apparaître aussi. Comme quoi il avait bien fait de demander tout ça.