Ajartiel dormit comme une bûche, assommé par le poison éthylique qu’il avait ingéré. D’ordinaire matinal, il était rare que quelqu’un ait à venir le réveiller. Passé l’inconfort, ce fut donc une relative surprise teintée d’incompréhension qui émergea dans son cerveau endormi en sentant quelque choses de pointue s’enfoncer entre ses côtes. Et il y avait quelqu’un à côté de lui. Et il n’était pas dans sa chambre. Hein ?

« Léanne! S’il-te-plaît! J’ai besoin de toi! », fit une voix piteuse, au loin.

« Laissez-moi tranquille », rétorqua plaintivement Léanne. Léanne ?

Lentement, les événements de la nuit revinrent plus ou moins en mémoire à l’Ange, tandis qu’il retirait son bras de son visage et se redressait péniblement. Uuuurgh. Il avait mal partout à cause de la position dans laquelle il avait dormi. Sans parler du malaise généralisé laissé par l’alcool. Il se sentait malade, et aussi fatigué que s’il n’avait pas dormi de la nuit. Il avait la vessie pleine, aussi. Que de joie...

Quelqu’un frappait à la porte.

En grognant de mécontentement, Ajartiel roula sur le côté, délogea de sous lui le verre vide sur lequel il venait de rouler, et se mis debout... en s’appuyant contre le mur un peu, juste quelques secondes, le temps d’être sûr qu’il était capable de tenir debout sans.

La personne à la porte frappa encore. Quelle impatience...

Ajartiel se dirigea vers la source du bruit, ses ailes trainant derrière lui. En chemin, il constata que son t-shirt était humide et tira le tissu vers son visage pour essayer de sentir de quoi il s’agissait. Il le regretta. Beurk. Les effluves de rhum un lendemain de veille, non merci.

Il tira sur le bas de son t-shirt pour le remettre en place d’une main et ouvrit la porte de l’autre. Ouf. Violent, la lumière.

Plissant les yeux, il s’appuya sur le cadre de porte en tenant toujours la poignée de cette dernière pour l’empêcher d’ouvrir en grand.

« B’jour ? », marmonna-t-il, la bouche pâteuse, en essayant d’analyser les traits de la personne en face. Avec les yeux à moitié fermés et le contrejour, ce n’était pas facile.

Ladite personne en face semblait soudain bien moins loquace et le dévisagea avec la bouche ouverte pendant au moins cinq bonnes secondes. Ah. Il la connaissait, en fait. C’était une Fée qui bossait souvent en Salle de Réveil.

« Euh... », fit-elle, éventuellement.

Ajartiel se passa une main sur le visage pour essayer de finir de se réveiller. C’était bien la peine d’être aussi impatiente si c’était pour ensuite ne plus rien dire, franchement. Il avait envie de juste refermer la porte et retourner se coucher.

« Je... venais chercher Léanne ? », articula-t-elle enfin. Même si elle n’avait pas l’air sûre et que ça sonnait comme une question...

« Pour ? », demanda Ajartiel. Et puis il se ravisa : « Non, 'm'en fou. 'ttend. »

Il referma la porte (ou, en tout cas, il lui donna une poussée en ce sens, mais ne s’assura pas que la pêne se loge dans son trou, donc peut-être qu’elle resta entrouverte).

« Léanne. On te d’mande. », résuma-t-il d’une voix un peu plus assurée en revenant là où la Fée était cachée.

Il se laissa tomber sur le lit, assis, à côté de la boule que formait Léanne sous sa couverture, et se prit la tête entre les mains. Il avait bien envie de se rendormir, là, maintenant... mais peut-être qu’il était capable de rejoindre sa propre chambre, avant... Il fallait qu’il aille se soulager, de toute façon. Meh.

« Ajartiel, je te dis officiellement aujourd’hui que je te déteste. », siffla hargneusement Léanne.

L’interpelé redressa la tête légèrement pour jeter un regard amusé à la Fée.

« Menteuse. En vrai, tu m’adores. », taquina l’Ange.

Il interpréta le regard furieux qu’elle lui jeta ensuite comme un refus de dignifier sa remarque humoristique d’une réponse. Ainsi donc, la Léanne post-alcool était particulièrement grincheuse. Cette découverte n’effraya pas plus l’Ange qu’elle ne l’étonna et il continua de sourire légèrement, moqueur, jusqu’à ce que la Chef des Fées se détourne.

Il la regarda se lever (emmitouflée dans sa couverture) pour aller répondre à Éléonor, mais, perdu dans ses pensées, ne prêta pas attention à l’échange verbal entre les deux Fées. Il n’était plus trop sûr de comment la soirée avait finie... Déjà, c’était bizarre de se réveiller dans le lit de Léanne. Pourquoi avait-il dormi là au lieu de retourner dans sa chambre ? Il se demanda si ‘‘Ajartiel enivré’’ avait stupidement pensé qu’il avait ses chances avec Léanne et avait voulu rester au cas où. Quel idiot. Il ne s’en rappelait pas, mais il espérait quand même ne pas devenir aussi bête que ça quand il buvait.

Avant ça... et bien, avant ça, il se souvenait qu’ils avaient joué à un jeu. Lequel ? Aucune idée... Il n’y avait pas un moment où elle avait pleuré à propos d’un mariage ? Les souvenirs encore avant ça, c’était un peu mieux. Il revoyait très bien Léanne en train d’embrasser une Elfe à la Discothèque. Il ne l’avait pas imaginé ça, n’est-ce pas ?

Ajartiel soupira en supposant que la mémoire lui reviendrait petit à petit et cacha à nouveau son visage dans ses mains.

Heureusement pour lui, il ne pouvait pas souffrir de déshydratation. Il n’avait donc pas plus mal à la tête qu’ailleurs. Il se sentait mal de façon égale partout ! Eh, il faut voir les côtés positifs..? Dans les côtés négatifs, par contre, il y avait le fait qu’il était affreusement fatigué. S’il restait là, même dans cette position assise absolument pas adaptée pour dormir, il était clair qu’il allait replonger. Il fallait qu’il retourne à sa chambre. S’encourageant lui-même mentalement à affronter les trois milliards d’escaliers jusqu’à son chez-lui, il redressa une fois de plus la tête. Son regard tomba alors sur Léanne en train de se changer.

Uh ?

Il la fixa bêtement pendant deux ou trois secondes avant que le réflexe de détourner les yeux ne se manifeste enfin. Le mal était cependant fait. Il avait vu des morceaux de peau qu’il n’était définitivement pas destiné à voir. Wooo...

Cette jolie vision inattendue eu le mérite de lui donner l’énergie suffisante pour se lever. Gardant docilement son regard sur la porte, il s’y dirigea, beaucoup plus réveillé que la dernière fois. Il ne dit pas au revoir à Léanne (ce qui aurait un peu été à l’encontre de l’idée d’ignorer qu’elle était là, avec pas grand chose sur le dos) et quitta la cabane.

Ah. Éléonor. Il l’avait oubliée, celle-là.

« Ce sera pas long, elle est en train de s’habiller. », l’informa-t-il, en disant le premier truc qui lui passait par la tête, juste histoire de dire un truc.

Et il tourna les talons en direction de sa chambre. Aaaah... dodo...